Pierre Jansen

Tu opères une rétrospective Bernadette Lafont ces derniers temps ?

Non, c'est pourtant vraiment pas fait exprès ! si tu ne connais pas, cours-y en tout cas...

Origines de la cantate QUATRE TEMPS pour mezzo-soprano,piano et récitant sur les poèmes
de MICHEL DELPORTE (1927-2001)

Par PIERRE JANSEN: << Nous nous sommes connus,Michel et moi,en 1944. La guerre allait
bientôt s'achever et nous formions un groupe d'adolescents idéalistes quelque peu enfermés dans ce qui était alors notre bien lointaine région: celle du Nord. C'est là qu'une même espérance,un même préssentiment de ce qui allait bientôt s'offrir à notre sensibilité,nous réunissaient.
De prime abord,la poésie devint l'expression de notre confiance en l'avenir. Puis,ce fut la découverte euphorisante des grands courants de la création et de la pensée que cette horrible guerre nous avait occultés: le surréalisme,l'éblouissement devant les oeuvres de PICASSO et la
musique de STRAVINSKY,"Le Sacre du Printemps" que nous entendîmes grâce à la retransmission radiophonique d'un concert de l'Orchestre National. Michel Delporte en fut à ce point fasciné,qu'il n'hésita pas à en emprunter le titre pour le poème qu'il écrivait alors. A cette époque,il était donc un jeune poète,possédant déjà la parfaite maîtrise d'un langage poétique s'inscrivant dans le sillage de Mallarmé et Valery.
Cependant,les évènements allant s'accentuant,et notre petit groupe s'étoffant et se diversifiant,
les orientations de chacun de ses membres se précisèrent. Découvrant la "Cité radieuse" de Le
Corbusier,Michel se voyait alors devenir architecte. Mais,finalement,ce furent les arts plastiques
qui l'emportèrent et,peu à peu,il devint le peintre qu'il fut.
J'étais alors,et presque malgré moi,le musicien de ce groupe. Mais ne devrais-je pas plutôt dire,me rapportant à cette époque,"l'apprenti musicien". La poursuite de mes études fit que je quittai bientôt cette région du Nord,là où tous mes amis,peintres pour la plupart,demeurèrent et
fondèrent ce que depuis nous appelons "le Groupe de Roubaix" et sur lequel le tout nouveau Musée d'Art et d'Industrie "La Piscine" vient d'attirer plus particulièrement l'attention. Michel Delporte fut un artisan actif de l'élaboration de ce musée. Hélas,il ne le vit point achevé: quelques
mois à peine avant son inauguration,une courte mais pénible maladie devait l'emporter en février
2001.
Combien de fois,lorsque nous nous rencontrions,n'ai-je-pas regretté qu'il n'eût point poursuivi
son oeuvre poétique,et ce ne fut que sur son lit de souffrances,où je lui rendis visite,qu'il me répéta les vers que j'avais toujours gardé présents dans ma mémoire,en me demandant de composer de la musique sur les poèmes de son adolescence. Ainsi naquit cette cantate...>>

Les oeuvres personnelles de PIERRE JANSEN sont suffisamment rares pour que lorsque l'une
d'entre elles apparait dans un bac,à la Fnac ou ailleurs,je n'hésite pas,janséniste comme je suis, une seule seconde. J'ai cependant loupé ses pièces pour piano qui étaient parues,à l'époque, dans les années 90,sur un double CD!!
Cette cantate magnifiquement chantée par Odile Descols et narrée par le compositeur,est un
véritable hommage à la poésie somptueuse de Delporte,au point que l'on peut même dire que
la musique de Jansen y est complètement soumise. Tout est dans l'épure et,au fond,ce que l'on
admire le plus dans cette création,c'est la belle musicalité du texte,avant tout et plus que tout.

D'après les extraits téléchargés, ça rappelle beaucoup les mélodies de Messiaen notamment "Harawi" et certains "poèmes pour Mi" mais en un peu moins "coloré"...

J'avoue ne pas y avoir pensé alors que je connais relativement bien l'oeuvre du compositeur
français du XXème siècle qui me fascine le plus,mais c'est fort possible. En moins coloré? Possible aussi dans la mesure où elle semble complètement s'assujettir aux vers de DELPORTE,la musique n'étant que pour servir les mots,appuyer leur propre musicalité et sans jamais attirer l'attention sur
elle. C'est de cette façon,en tout cas,que je le ressens.

Il me faudra t'évoquer à l'occasion ses QUATUORS N°1 & 2 avec le "Quatuor Musique Vivante"
et une pièce intitulée PROCESSIONNAL EN SEPT TABLEAUX pour trompette et orgue que je m'en
vais réécouter pour l'occasion,tiens!

Et ça se trouve en CD ça ?? (c'est encore plus introuvable j'ai l'impression)

SUN'JA a écrit:

J'avoue ne pas y avoir pensé alors que je connais relativement bien l'oeuvre du compositeur
français du XXème siècle qui me fascine le plus,mais c'est fort possible. En moins coloré? Possible aussi dans la mesure où elle semble complètement s'assujettir aux vers de DELPORTE,la musique n'étant que pour servir les mots,appuyer leur propre musicalité et sans jamais attirer l'attention sur
elle. C'est de cette façon,en tout cas,que je le ressens.

Un Michel Fano a aussi été très influencé par Messiaen, de même que Prodromidès (bien qu'il déteste qu'on le mentionne...) voire un musicien comme Serge Kaufmann que tu ne connais peut-être pas :

http://frenchsoundtracks.forumotion.com/general-f6/serge-kaufmann-t186.htm

Je connais Serge Kaufmann seulement de nom,bien que j'ai déjà vu plusieurs cd de lui et à des prix parfois très bas,genre 4/6 Euros,12,maximum. Quand aux oeuvres de Jansen que je t'ai cité plus haut,elles existent bien évidemment en CD. PROCESSIONNAL fut éditée sur un cd "Feeling" au milieu de Delerue,Vivier,Chailley,Landowski,Ancelin et Jolivet. Il ne s'agit que d'oeuvres composées pour trompette et orgue,les plus imposantes étant celles,respectives,de Delerue et Landowski,dépassant chacune les vingt minutes. Ses deux quatuors à cordes furent édités en 1994,période où je les ai achetés,chez "Salabert", couplés avec celui de Maurice Delaistier.

Le PROCESSIONNAL se compose de sept tableaux. J'y vois tout d'abord comme un nocturne
se dessiner entre l'orgue et la trompette. Il est raisonnable d'y ressentir une certaine solennité
propre à la démarche processionnelle. D'après son auteur: "il s'agit plus que tout d'une partition
instrumentale et concertante ayant sa propre forme qui pourrait éventuellement évoquer quelques
souvenirs d'enfance mais dans laquelle compte avant tout le rapport particulier opposant le timbre pur et linéaire de la trompette à la complexité du grand-orgue." Je trouve que cette association fonctionne à merveille dans cette petite petite pièce de presque 14 mn dont les
quelques clusters à l'orgue ne sont même pas dérangeants.
Son premier quatuor est surtout d'essence tonale,une oeuvre qui se refuse à toute tentative de
recherche,qu'elles soient instrumentales ou syntaxiques. C'est plutôt dans une certaine tradition
du quatuor à cordes qu'elle s'installe,mais avec la fougue imaginative d'un musicien bientôt
cinquantenaire, comme en témoigne le premier mouvement. Si le second mouvement respecte la forme du lied,le Scherzo qui s'en suit,exige de ses interprètes une haute virtuosité et une implacable précision rythmique. Le dernier mouvement renvoie d'une certaine manière à l'ambiance tonale et chaleureuse du premier. Ce quatuor fut composé entre 1979 et 1980.
Le second m'apparaît comme plus grave et désespéré que le premier. Composé entre 1990 et
1991,il aurait été l'écho de l'attente insoutenable précédant la première guerre du Golf. Le premier mouvement conditionné par un développement rythmique haletant et angoissé,respire
par instant autant la douleur que le désespoir.
Le second mouvement a sa petite histoire. Très virtuose et rigoureux,il serait une grinçante allusion au dieu informatique:
Pierre Jansen: << Des fragments répétitifs s'enchaînent les uns aux autres dans un désordre
volontaire,comme si le "sequenzer" d'un synthétiseur était -- non sans quelque humour -- atteint
d'un mystérieux virus. >>
Quant au dernier mouvement,dans sa forme quadripartite,répondrait à la volonté de JANSEN
de faire coïncider l'épars qui emplit l'univers,même au prix de rencontres harmonieuses et de
chocs disharmonieux.
Globalement,je n'irai pas jusqu'à prétendre que ses pièces de concert me fascinent plus que
ses excellentes musiques pour les films de CHABROL,mais quand même....J'y suis très attaché.

SUN'JA a écrit:

Ses deux quatuors à cordes furent édités en 1994,période où je les ai achetés,chez "Salabert", couplés avec celui de Maurice Delaistier.

Totalement disparu des catalogues j'ai l'impression... on ne trouve plus rien en ligne en tout cas.

D'où l'intérêt de parler du Jansen filmique, tu connais sa partition pour "Alice ou la dernière fugue" ?

" Alice ou la dernière fugue" ? Je n'ai jamais entendu parler de ce film,pas même dans une biographie de Jansen!! Je compte sur toi pour m'en dire un peu plus sur le film et la musique?
Qui en est le réalisateur?
De mon côté,j'ai un vague souvenir de LA DENTELLIERE,un souvenir d'adolescent ou de pré-adulte. L'histoire était assez triste,il me semble,l'héroine,Pomme,interprétée par Isabelle Huppert,se retrouvant dans un hôpital psychiatrique à confectionner des dentelles. Le film était une production franco-suisse réalisée par Claude Goretta,entre 1976 & 1977. J'avais beaucoup aimé la musique de Pierre Jansen,heureux de tomber,quelques années plus tard,sur le 33 tours qui réveilla de beaux souvenirs en moi. En fait,LA DENTELLIERE,pourrait bien être,sur le plan discographique,ma première incursion dans la musique du compositeur français. Sinon,mes connaissances en matière de B.O.,chez JANSEN,se limitent presque exclusivement à sa collaboration avec Claude Chabrol et à sa magnifique composition pour choeurs et orchestre, NUIT D'OR,un film de Serge Moati que je rêve de voir éditée en CD,avec une impatience de jeune fille qui va se marier. Il y a trois B.O. françaises dont j'attends prioritairement une édition "cédégraphique"; DANTON de JEAN PRODROMIDES,NUIT D'OR de PIERRE JANSEN et LA MORT EN DIRECT d'ANTOINE DUHAMEL. Voilà! Quant ils veulent!

Je te reparlerais demain d'"Alice et la dernière fugue", sinon j'adore en effet "La dentellière" - qui rappelle parfois l'impressionnisme d'"Alice et la dernière fugue" justement mais en un peu moins sombre...

"La dentellière" n'a jamais été éditée intégralement sur CD (une piste seulement existe chez CAM), ça vaudrait le coup de la sortir avec "Nuit d'or" (totalement inédit), mais seulement il va falloir convaincre Jansen lui-même qui ne s'intéresse pas du tout à d'éventuelles éditions de ses musiques de films (il me l'a dit par téléphone).

PS : et c'est hélas aussi le cas de "l'Imprécateur" de Rodney Bennett, un score qui n'intéresse plus du tout le musicien lui-même, malgré son époustouflante qualité !

SUN'JA a écrit:

Il y a trois B.O. françaises dont j'attends prioritairement une édition "cédégraphique"; DANTON de JEAN PRODROMIDES,NUIT D'OR de PIERRE JANSEN et LA MORT EN DIRECT d'ANTOINE DUHAMEL. Voilà! Quant ils veulent!

Pour la première je vous en dirais plus prochainement, pour la dernière, on la retrouve partiellement sur le volume 2 du "Cinéma d'Antoine Duhamel" :

http://frenchsoundtracks.forumotion.com/compositeurs-f4/antoine-duhamel-t8.htm

certes ce n'est pas en entier mais c'est mieux que rien.

Voici quelques infos sur "Alice ou la dernière fugue" :



Il s'agit du seul film fantastique de Chabrol, une sorte de conte onirique moins axé sur la psychologie et le social que dans les autres oeuvres chabroliennes.

La musique de Jansen est elle aussi atypique puisque plus impressionniste et lyrique que les abstractions grinçantes façon "Que la bête meure" ou "La scandale".

extrait du film ici :
https://www.youtube.com/watch?v=hLX05VONYB4 (je me demande si David Lynch ne s'est pas inspiré de ce film dans "Twin peaks")

Je ne sais pas bien quels films de Chabrol sont prévus à la TV en ce moment, suite à sa disparition il y a quelques jours, mais nul doute qu'on aura l'occasion de réécouter certaines partitions fameuses de Pierre Jansen.

Ces quelques derniers mois j'avais eu l'opportunité de découvrir pas mal des premiers films de Chabrol justement, et je dois dire que ce sont ceux là qui m'apparaissent les plus brillants du cinéaste (A Double Tour, Le Scandale etc,... ), aussi bien techniquement (le format, la photo ,...) que du point de vue des audaces et du style.

Après, dans les années 70 et 80 (bien que j'adore Masques et que j'aime beaucoup L'Enfer) je trouve que c'est souvent beaucoup plus crados au niveau de la forme (avec parfois des formats 4:3 ou des photos fauchées façon téléfilm) ce qui file un sacré coup de vieux à certaines de ses productions (un film comme Juste avant la Nuit est absolument hideux, malgré la superbe musique de Jansen et la prestation de Michel Bouquet...). En fait le problème avec Chabrol c'est qu'il a peut-être un peu trop tourné finalement...

Il faudrait que tu revoies tout de même un film comme "La cérémonie", laisse tomber la forme (pour une fois ! ) mais penche toi sur le fond ! je te défie de me trouver un film aussi puissant sur le plan du propos depuis une vingtaine d'années, même "L'appât" de Tavernier semble démonstratif et manque de subtilité à côté du film de Chabrol...

Sinon dans les Chabrol vraiment ratés (ce qui est très loin d'être le cas de "Juste avant la Nuit"), tu as la série du "Tigre" (moyens quand même...), "Marie-Chantal contre docteur Kha" (bof...), "La Route de Corinthe", "Docteur Popaul" (re-bof), "Jours tranquilles à Clichy" (la sauce ne prend pas...).

Par contre "Les Liens de sang" mérite qu'on le redécouvre, de même que l'oublié "Violette Nozière" et même son "Folies bourgeoises" n'est pas si raté que ça.